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Analyse du discours d'André Malraux

du transfert des cendres de Jean Moulin

au Panthéon

Les documents ci-dessus représentent, sous différentes formes (vidéo et écrit), le discours d’André Malraux, ministre de la Culture du président Charles de Gaulle, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964. Cet hommage national, 21 ans après la mort de ce célèbre résistant permet au peuple français notamment aux jeunes générations de découvrir ou redécouvrir cette figure de la Résistance française. Ce discours deviendra une légende non seulement pour André Malraux mais surtout pour Jean Moulin. En effet, cet hommage fera de lui un héro national et connu par tous encore aujourd’hui.

 

Comment André Malraux fait de Jean Moulin un héro national ?

 

Dans un premier temps, je vous rappellerai le contexte historique et politique dans lequel ce discours est prononcé. Puis, je relèverai les glorifications présentes dans l’allocution d’André Malraux.

Tout d’abord, replaçons le discours dans son contexte. Ce discours se  situe en 1964, une année anniversaire, celui du 20ème de la libération de la France, en 1944. Du côté politique, les temps sont calmes. En effet, les années 60 correspondent à la période des 30 glorieuses (1946-1975) soit une période calme. De plus, la seconde guerre mondiale (1939-1945) et la période après-guerre (1945-1947) sont achevées, le Baby-boom est toujours présent en France (1945-1964) et la Vème  République est instaurée depuis quelques années (1958). Malgré la guerre froide en cours, la France connait une période de tranquillité sociale. En revanche l’aspect politique se démarque de cette cérémonie puisque à la veille des élections présidentielles de 1965, l’objectif politique est double : renforcer la cohésion nationale autour de cette mémoire historique et officielle et rappeler le rôle du général de Gaulle dans la Résistance et ainsi, la libération de la France.

Ce 19 décembre est relié à la Panthéonisation de Jean Moulin. En fait, celle-ci se déroule sur deux jours : les 18 et 19 décembre 1964. Dans un premier temps a lieu l’exhumation et le transfert de l’urne du Père-Lachaise à la crypte des martyrs de la déportation dans l’île de la cité. Le transfert au Panthéon s’effectue de nuit à travers Paris. Le lendemain, un dimanche, le Général de Gaulle préside les hommages avec la pompe républicaine. Ce n’est que le midi qu’André Malraux prononcera son éloge funèbre qui s’achèvera sous Le Chant des Partisans puis par un défilé militaire. Géographiquement, le Panthéon est un monument emblématique de la République. Il rend hommage aux hommes qui ont écrit et écrivent encore l’Histoire de la France. La seule femme résidant en ce lieu est Marie Curie. De nos jours, ils sont 75. Ils incarnent les vertus républicaines mobilisables au présent (courage, talent, etc.). Jean Moulin est reconnu pour son courage et son dévouement à la Résistance française. Chaque Panthéonisation relèvent de l’Etat et sont donc des indices de la politique mémorielle du moment. Ici, ce discours ministériel de Malraux permet à la Résistance française de rester dans les mémoires et ainsi, être définitivement liée au Général de Gaulle, fondateur de celle-ci. Dans son discours, Malraux cherche à réunir  l’ensemble des résistants derrière le gaullisme envisagé comme l’idéologie de l’unité nationale c’est ce que nous allons voir dans la deuxième partie.

 

Dans un second temps, on peut constater qu’André Malraux, à travers des indices littéraires, glorifie certaines personnes et une cause. Tout d’abord la Résistance est mise à l’honneur. En effet, nous pouvons lire l’expression ‘‘armée de l’ombre’’ inventée par les Vichystes pour discréditer la France Libre. Cette formule est basée sur un mythe antique des forces de la nuit, soit les Furies. La Résistance française l’a reprise de manière à faire allusion à l’église secrète des catacombes, porteuse de lumières d’espoir et finalement triomphante. C’est de cette idée positive que Malraux s’inspire pour « peuple de la nuit […] né de l’ombre Â» qui désigne les Résistants qui se sont battus dans l’ombre et qui se sont sacrifiés pour la libération de la France. 

Par ailleurs, ce discours est censé rendre hommage à Jean Moulin, pourtant nous pouvons constater que l’orateur s’adresse au général de Gaulle : c’est le seul cité dans l’ouverture du discours: â€˜â€˜Monsieur le Président de la République’’. Par la suite nous pouvons voir que le ministre magnifie son président en ramenant régulièrement la Résistance à de Gaulle en rappelant que cet homme est le seul fondateur de cette cause avec la répétition du nom seul : ‘‘peut seul appeler’’, ‘‘car c’est à travers lui seul que la France’’…

En revanche, malgré la glorification de son président, André Malraux fait un très bel éloge de Jean Moulin qui, avant cette allocution était un héros-martyr de la Résistance et après cette déclaration, un héros national mort en martyr pour la France. En effet, le ministre lui donne cette dimension héroïque en soulignant son rôle dans l’unification des différents mouvements de la Résistance soit, selon le mythe gaulliste ‘‘la seule France qui compte’’. Pourtant, malgré ces éloges, on peut constater l’absence de l’évocation de la vie de Jean Moulin de janvier 1943 à son arrestation en juin, soit la période de sa présidence au Conseil National de la Résistance, organisation dont la légitimité paraissait, aux yeux des non-gaullistes, plus authentique que celle du général. On peut penser que ce silence est une manière de ne pas faire de l’ombre au président de la République présent ce 19 décembre. Cette allocution élogieuse est qualifiée de discours épique envers le premier chef du CNR puisque, je cite, André Malraux parle d’une ‘‘armée des ombres’’ (soit les résistants) derrière Moulin ou encore ‘‘le chef d'un peuple de la nuit’’. Par ces termes, les noms de tous les résistants se reflètent à travers le sien. Je trouve que c’est une belle preuve de dévouement, courage et héroïsme comme l’évoque le ministre de la culture dans ce célèbre discours et le général de Gaulle dans sa préface magnifiant son ‘‘Max, pur et bon compagnon de ceux qui n'avaient foi qu'en la France’’. En effet, André Malraux n’est pas le seul à rendre hommage à ce grand résistant. Daniel Cordier, Charles de Gaulle et bien d’autres rappellent le courage de cet homme aux multiples noms qui ne retrouva le sien ‘‘que pour être tué’’ comme l’explique l’orateur de ce discours.

L’image du martyr de la France résistante est évoquée avec ‘‘terrible cortège’’ regroupant les résistants torturés et Jean Moulin. André Malraux emploie ses mots et phrases d’une manière puissante et crue ce qui amplifie l’aspect héroïque et courageux de Jean Moulin. Le passage de sa mort ou plutôt de sa torture sont décrites d’une manière horrible mais s’achève avec l’action héroïque de Jean Moulin, son silence: ‘‘Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous.’’.

 

Pour conclure, ce discours offre une vision héroïque et patriotique de la Résistance française fondée par le général de Gaulle, magnifié pendant cette cérémonie. Cependant, par son courage et son dévouement mis à l’honneur, Jean Moulin devient un héros national connu de tous. En effet, de nos jours, grâce aux nombreux témoignages et hommages comme ce discours d’André Malraux,  que ce soit Rex, l’homme au chapeau ou encore le président du CNR, Jean Moulin est un symbole de courage, patriotisme et loyauté.

 

NOTE

On peut constater que ce discours prend une tournure lyrique et un ton quasi-fantomatique avec la voix blême d'André Malraux, atteint du syndrôme de Gilles de la Tourette. En plus de cette tonalité de voix, la météo pluvieuse n'aide en rien la prononciation de l'allocution. Le ministre n'hésite d'ailleurs pas à relever le temps venteux au début de sa déclamation: ''par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci''.

 

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